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Insaniyyat Tunis 2022 Forum international des sciences humaines et sociales 20-24 septembre 2022
Insaniyyat Tunis 2022
Forum international des sciences humaines et sociales
20-24 septembre 2022
Appel à communication pour l’atelier :
Luttes sociales, recompositions partisanes : fissures dans le système politique libanais
Coordinateurs : Michele Scala (Sciences Po, Ifpo, Lebanon Support) ;
Erminia Chiara Calabrese (Universidad Rovira i Virgili, Ehess)
Contact : michele.scala@sciencespo-lyon.fr ; erminia.calabrese@gmail.com
À partir du 17 octobre 2019, sur fond d’une crise économique qui a pu être définie parmi les trois plus sévères au monde depuis le milieu du 19e siècle (BM 2021), le Liban connaît un mouvement protestataire sans précédent, tant par son ampleur géographique que par sa composition sociale, remettant en cause l’ordre politique tout entier. Après une demi-décennie caractérisée par de nombreux scandales politiques, mais aussi écologiques – dont l’explosion dévastatrice de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium advenue au Port de Beyrouth le 4 août 2020 ne constitue que le dernier en date – des centaines de milliers de libanais prennent progressivement la rue, bloquent des artères routières, et occupent les places publiques des principales villes du pays, amorçant un mouvement dont le devenir demeure incertain. L’indignation populaire se déclenche dans les deux semaines consécutives à la dépréciation rapide de la livre libanaise face au dollar (une première depuis 1998) et se cristallise autour de l’annonce gouvernementale de mesures d’austérité budgétaire exténuantes socialement. Si le déclencheur de la protestation fut notamment l’annonce de la taxation des applications de messagerie instantanée de la part du gouvernement alors présidé par Saad Hariri, les mobilisations se transforment rapidement en un mouvement de critique radicale du système politique confessionnel et de ses représentants, « tous » tenus pour responsables de l’effondrement économique du pays. Sous le slogan unificateur « Kellon ya‘ani kellon », signifiant qu’ils sont tous pareil et surtout qu’ils sont tous responsables, les protestataires dénoncent la corruption (al-fasād) de la classe politique et demandent la chute du régime confessionnel (isqāṭ al-niẓām al-ṭa’ifī) – faisant ainsi écho à d’autres expériences protestataires, anciennes et plus récentes, dont les mots d’ordre et les enjeux se trouvent réinvestis et exacerbés (Abiyaghi et Catusse 2014)
Au même titre que l’amorce des processus révolutionnaires arabes, qui n’a pas manqué de prendre par surprise un certain nombre de spécialistes (Roy 2013, Catusse et al. 2015), l’éclosion de ce mouvement est venue prendre à contrepieds les approches dominantes en contexte libanais érigeant le confessionnalisme et le communautarisme en un fait social et politique total, et seul moteur de mobilisation possible.
Cet atelier entend proposer une analyse processuelle des contestations populaires amorcées à l’automne 2019 au Liban et entrées dans le langage commun avec le terme de thawra (révolution). En se positionnant à contretemps des approches causales et des lectures météorologiques et événementialistes qui ont pu être portées sur les processus révolutionnaires arabes, il propose, d’une part, de questionner « l’émergence » – au sens foucaldien (Paltrinieiri 2014) – des processus contestataires de 2019 au Liban et, d’autre part, d’interroger ses recompositions actuelles.
Axe 1 – Les arènes de la contestation dans le Liban des années 2010
Pour ce faire, il invite, d’une part, à soumettre des contributions interrogeant, sur le temps long, l’émergence de configurations contestataires dans des espaces de mobilisations qui ont été à la fois sur- et sous-investis par les sciences sociales libanistes : l’arène sociale, les mondes du travail et les mondes partisans. Si les liens entre les revendications de la thawra et les mouvements sociaux éclatés autour de la crise des déchets de 2015 (talaat rihatkom et beddna nhaseb notamment) semblent évidents, et ont pu être mis en avant dans des études liminaires (Abiyaghi et Yammine 2020), les mondes du travail ont connu tout au long de la dernière décennie un renouveau de luttes qui a été peu questionné. Dans cette arène, on observe l’éclatement de mobilisations éparses et sectorielles, pour la plupart agencées autour de revendications « matérielles » et dont la caractéristique commune est celle de se déployer en dehors des structures syndicales « traditionnelles » (Hariri et Scala 2019). Au niveau des univers militants, on peut observer des formes des contestations visibles ou latentes, - à bas bruit dans certains contextes – des « malheurs militants », qui semblent briser tant les allégeances aux partis traditionnels que l’idée que ces partis politiques produiraient un « entre-soi protecteur » (Calabrese 2016).
Si des études récentes et plus anciennes mettent en avant « l’héritage » des mouvements sociaux éclatés dans les années 2010 et l’actualité de leurs mots d’ordres (Abiyaghi et Yammine 2020 Abiyaghi et al. 2017, Abiyaghi et Catusse 2014), la dimension politique des revendications « matérielles » advenues dans les mondes du travail (Scala 2020), ou encore les espaces de résistance et de contestation dans les milieux partisans (Calabrese 2016), une réflexion transversale autour de l’émergence d’arènes de la contestation multi-situées et multisectorielles (Dobry, 1987) n’a pas fait l’objet d’efforts scientifiques. Ainsi, ce premier axe de réflexion vise précisément à ouvrir un débat autour d’objets et d’enquêtes (trop) souvent désarticulés autour d’une analyse processuelle des phénomènes de contestation dans le Liban de la dernière décennie. Notre approche n’est pas mue par une tentation ou une « illusion étiologique » (Dobry 2007, Bennani-Chraïbi et Fillieule 2012) ancrée dans la recherche des « causes » de la thawra. Bien au contraire, nous sollicitons des contributions qui puissent participer d’un éclairage d’arènes et de trajectoires contestataires complexes qui se redéploient – ou non – au sein d’une situation révolutionnaire (Tilly 1978).
Axe 2 – Recompositions contemporaines de la thawra
D’autre part, notre atelier ambitionne de réunir des contributions interrogeant les recompositions et les transformations politiques à l’œuvre dans ces espaces contestataires suite à l’étouffement apparent de la thawra. L’articulation de crises multiples (économiques, sanitaire et politique) depuis 2019 et la dégradation rapide des conditions économiques et sociales de la très grande majorité des populations résidentes au Liban semble avoir érodé l’élan contestataire et la capacité de mobilisation collective du mouvement populaire ayant émergé en 2019. Cette situation ouvre la voie à la recomposition des liens politiques « traditionnels » à travers la distribution de services et ressources, qui se font de plus en plus rares, à travers les canaux éprouvés de répartition clientélaire. Ainsi, le raisonnement binaire et dichotomique, ayant prévalu ailleurs dans la région, entre « printemps » révolutionnaires, et « hiver » contre-révolutionnaires (Feldman 2020), semblerait pouvoir informer ceteris paribus la trajectoire libanaise de la thawra. Or, le mouvement contestataire de 2019 connaît des redéploiements multiples, des formes de reconfiguration – voire à plusieurs égards, d’institutionnalisation de « l’opposition ». En témoigne par exemple la naissance de mouvements politiques et de partis « indépendants » se réclamant de la thawra et leurs tentatives de coalition en vue des prochaines législative de 2022 ; ou le rétrécissement des partis « traditionnels » aux élections des conseils estudiantins (Chehayeb et Majzoub 2021) et l’élection de candidats issus de groupes d’opposition dans différentes universités (notamment privées). Dans les mondes du travail, des trajectoires similaires s’observent au niveau du renouvèlement des instances représentatives au sein de différents ordres professionnels, dont celui des avocats, ou encore de la constitution d’associations professionnelles indépendantes des syndicats institutionnalisés (El-Kak 2021) réputés cooptés par les pouvoirs politiques en place.
Partant, il s’agira de situer la réflexion en deçà des lectures dichotomiques et tranchées autour du succès ou de l’échec de la thawra. Autrement dit, sans décréter trop rapidement la rupture des liens et des loyautés politiques traditionnels « par » l’évènement contestataire ou, a contrario, le rétablissement des liens politiques ex ante suite à son essoufflement apparent, il s’agira d’interroger les recompositions politiques, tout comme les reconfigurations du mouvement contestataire de 2019.
Informations pratiques :
- Les propositions de communication (en français, en anglais ou en arabe) devront être envoyées à michele.scala@sciencespo-lyon.fr et erminia.calabrese@gmail.com avant le 5 décembre et ne devront pas dépasser les 500 mots.
- A noter, voyage, hébergement et inscription au Congrès Insaniyyat seront à la charge des participants et de leurs laboratoires. Des hôtels aux tarifs négociés seront proposés par l'organisation du Forum et les repas seront couverts par les frais d'inscription. Une partie des frais d'inscription sera prise en charge par le GIS-MOMM pour les ateliers initialement prévus pour le congrès d'Aix. Une aide financière pour le déplacement et le séjour des doctorants et post-doctorants sans emploi rattachés à une institution française sera mis en place.
- Cet atelier vise à préparer un dossier à proposer auprès d’une revue scientifique.
Bibliographie indicative
Abiyaghi, M.N., & Yammine (2020). The October 2019 Protests in Lebanon: Between Contention and Reproduction. Beyrouth: Civil Society Knowledge Centre, Lebanon Support. En ligne: https://civilsociety-centre.org/paper/october-2019-protests-lebanon-between-contention-and-reproduction.
Abiyaghi, M.-N., Catusse, M., Younes, M. (2017). From isqat an-nizam at-ta’ifi to the Garbage crisis movement: Political identities and antisectarian movements. In R. Di Peri & D. Meier (Eds.), Lebanon facing the Arab uprisings. Constraints and adaptation, New York: Palgrave.
Abi-Yaghi M.N., & Catusse M. (2014). Liban : le mouvement « pour la chute du système confessionnel » et ses limites. In M. Camau & F. Vairel (Eds.), Soulèvements populaires et recompositions politiques dans le Monde arabe (pp. 250-273). Montréal, éditions des Presses Universitaires de Montréal.
Bennani-Chraibi, M., Fillieule, O. (2012). Pour une sociologie des situations révolutionnaires. Retour sur les révoltes arabes. Revue française de science politique;62(5), 767-796.
Banque Mondiale (2021), « Lebanon Economic Monitor », Banque Mondiale, disponible en ligne : https://documents1.worldbank.org/curated/en/394741622469174252/pdf/Lebanon-Economic-Monitor-Lebanon-Sinking-to-the-Top-3.pdf [dernière consultation: 8/6/2021].
Calabrese, E.C. (2016). Militer au Hezbollah. Ethnographie d’un engagement dans la banlieue sud de Beyrouth. Beyrouth/Paris : Ifpo/Karthala.
Catusse M., Signoles A., & Sinno F. (2015). Révolutions arabes : un évènement pour les sciences sociales ? Revue des mondes musulmans et de la Mediteranee, 138.
Chehayeb, K. & Majzoub, T, (2021). Lebanon’s Student Movement: A New Political Player? Arab Reform Initiative. Research Paper, 1-23.
Collovald, A. (2002). Pour une sociologie des carrières morales des dévouements militants. In A. Collovald, M. H. Lechien & S. Rozier (Eds.), L’humanitaire ou le management des dévouements (pp. 177-229). Rennes : PUR.
Darmon, M. (2008). La notion de carrière: un instrument interactionniste d’objectivation. Politix, 82(2), 149-167.
Dobry, M. (2007). Ce dont sont faites les logiques de situation, dans Favre P., Fillieule O., Jobard F.
(dir.), L'atelier du politiste. Paris : La Découverte, 119-148.
Dobry, M. (1986). Sociologie des crises politiques : La dynamique des mobilisations multisectorielles. Paris : Presses de la fondation nationale de sciences politiques.
El-Kak, N. (2021). Alternative Labor Unions in Lebanon: Comparative Reflections and Lessons. Lebanese Center for Policy Studies (LCPS), en ligne: https://www.lcps-lebanon.org/featuredArticle.php?id=342
Feldman, N. (2020). Arab Winter : A Tragedy. Princeton : Princepton University Press.
Hariri, N., Scala, M., (2019). Le mouvement syndical libanais à l’épreuve de l’Intifâda du 17 octobre 2019. Confluences Méditerranée (111), 135-147.
Karam, K. (2000). Le Mouvement civil au Liban. Revendications, protestations et mobilisations associatives dans l’après-guerre. Paris : Karthala / Iremam.
Filleule, O. (2001). Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel. Revue française de science politique, 51(1-2), 199-215.
Lehingue, P. (2001). La ‘loyalty’, parent pauvre de la trilogie conceptuelle d’A. O. Hirschman. In J. Laroche (Ed), La loyauté dans les relations inter- nationales. Paris : L’Harmattan.
Paltrinieri, L. (2014). Chapitre 20. L’émergence et l’événement. Population et reproduction au XVIIIe siècle. Dans Oulc'Hen, H. (dir.)., Usages de Foucault. Paris: Presses Universitaires de France, 335-354.
Roy, O. (2013). Et si l’Orient disparaissait ? Critique (793-794), 543-552.
Scala M. (2020). Le clientélisme au travail. Une sociologie de l’arrangement et du conflit dans le Liban contemporain (2012-2017). Thèse de doctorat en Monde arabe et musulman. Aix-en-Provence : Aix-Marseille Université.
Tilly C. (1978), From Mobilization to Revolution. Addison-Wesley (MA) : Reading.